L’enfant rêve d’être adulte, de faire comme les grands. Il sera tenté de tricher pour faire semblant : fumer comme les grands, dire des gros mots comme les grands, s’habiller comme les grands. À court terme ça le laisse frustré et mécontent car cela ne procure pas du tout la sensation de satisfaction qu’il attendait.
Cette attitude se retrouve également chez les petits. Ces derniers essaient de deviner la bonne réponse au lieu de comprendre le problème et de réfléchir pour trouver. Or deviner la bonne réponse par hasard ou par indices ne procure pas de réelle satisfaction. Ce n’est pas tant le résultat qui compte que le moyen employé pour y parvenir. On parvient rapidement à la notion d’effort. Ce qui a coûté un effort prend de la valeur et procure une grande satisfaction, ce qui a été obtenu sans effort n’a pas de valeur et aucune véritable joie n’y est associée.
Des enfants qui jouent vraiment aux adultes
C’est par ces exemples qu’on pourrait expliquer le scoutisme d’une autre façon. La méthode scoute est le grand jeu des enfants qui jouent aux adultes. La troupe ou la compagnie est une micro société faite pour les jeunes. En y regardant bien, toutes les activités du scoutisme sont des activités d’adultes mais elles sont effectuées dans une société de jeunes. On fait des trucs de grands mais surtout on acquière la compétence pour cela. La joie de réussir se trouve magnifiée grâce aux efforts consentis pendant la préparation et pendant l’exécution.
L’enfant a aussi envie de connaître et de pouvoir. Si la méthode d’apprentissage est bonne, il s’investit entièrement dans l’exercice qui prend la forme d’un jeu, il vit dans le présent, il se fatigue avec plaisir, et il recommence de nombreuses fois dans la joie car il en ressent une vive satisfaction intérieure. Cela vaut pour la méthode Montessori pour les petits qui apprennent à lire. Cela vaut de la même manière pour le scoutisme, là où les adolescents apprennent à devenir des hommes par le jeu. La découverte des nouveaux mécanismes de la société des jeunes, le jeu de leur fonctionnement procure un intense plaisir et les jeunes sont heureux de s’épuiser et de recommencer tant ils en retirent de satisfaction.
Vers l’âge critique de l’adolescence, ce qui est vraiment important c’est de vivre vraiment et surtout ne pas rechercher la frime. Le jeu scout, le grand jeu de la méthode scoute, lorsqu’il est bien mené par des chefs qui possèdent la méthode et y jouent encore mais cette fois comme chef (et non pas animateurs) rends facile et gratifiant l’apprentissage de la vie en société. L’apprentissage devient facile et désirable pour le jeune si ses chefs sont des garçons à peine plus grands que lui.
En outre, la chose à réaliser doit être à la portée du jeune garçon ou de la jeune fille, ni trop facile ni trop difficile. Pour réussir cet équilibre, les plus grands ne doivent pas être des juges ou des censeurs, ils doivent jouer dans le même jeu, ainsi ils seront réellement proches. Ce sera facile pour les Chefs de Patrouilles qui sont encore à fond dans le jeu mais ceci est également valable pour les chefs d’unités qui, tout en ayant appris un peu la théorie et les aspects réglementaires, continuent de « s’éclater » dans le jeu scout.
Le meilleur signe que la méthode pédagogique est bien menée c’est que l’exercice est véritablement un jeu. On reconnaît un bon jeu par la joie débordante qui en résulte.
Ils méprisent leurs chefs
Il existe deux types de déviations : la première consiste à placer la barre trop basse. Ne pas croire à l’aventure, ne pas croire à l’engagement, négliger la technique sous prétexte que l’esprit est préférable et relativiser l’engagement. En définitive il ne reste que la bande et les jeunes en viennent vite à s’ennuyer car SANS EFFORT PAS DE JOIE. Pourtant ces jeunes restent aux scouts. Tout simplement parce qu’ils ont réussi à déployer leur petite société entre eux, leur bande à eux sans les chefs. Dès lors ils commencent à mépriser leurs chefs. Bien sûr on n’est plus dans le scoutisme authentique malgré les apparences et on n’atteindra pas les buts affichés par la méthode scoute.
Société de tricheurs
L’autre type de déviation consiste à ne déployer que le mythe de l’engagement et la piété à hautes doses. Ceci donne extérieurement l’impression de fonctionner mais c’est du scoutisme d’apparence, du scoutisme « d’uniforme et de tradition », le mythe prend alors une importance démesurée et remplace l’aventure vécue. Alors que les chefs semblent avoir placé la barre au plus haut, l’intérêt tombe au plus bas car il n’y a plus d’aventure. C’est la dérive vers le caporalisme, ou le mythe. L’enfant est dégoûté parce qu’il voit bien qu’il ne peut réussir. Le chef apparaît alors comme un tyran. Pourtant les jeunes restent. En fait ils sont coincés ces pauvres jeunes, leurs familles appartiennent souvent à une communauté un peu à part. Quitter la troupe serait perçu comme renier cette communauté et renier sa religion. Alors ils restent à la troupe.
Ceux qui n’ont pas de caractère se laissent faire, acceptent les brimades et deviennent de plus en plus mous.
Ceux qui ont une personnalité normale deviennent des tricheurs, ils apprennent à feindre, se défiler et dénigrer. Plus tard ils brigueront les places de chefs pour profiter à leur tour du système et exiger des plus jeunes ce qu’ils n’ont pas été capable de réaliser eux-mêmes.
Ceux qui ont vraiment du caractère deviennent des révoltés. Plus tard ils enverront tout voler pour retrouver leur liberté après trop d’années de brimades.
Brûler l’énergie de la jeunesse pour devenir des hommes
Mais dans les bonnes unités, celle qui ont la chance d’avoir un chef véritable qui s’implique lui aussi dans le jeu, qui y prend autant de plaisir que ses jeunes, l’effort demandé correspond toujours à ce que les jeunes peuvent atteindre. Le plaisir de réussir bien plus que celui de contenter le chef procure la véritable satisfaction. Le chef peut alors proposer des paris, des aventures encore plus costauds, les enfants suivront.
Le chef qui a bien compris la méthode scoute sait déployer les moteurs de l’aventure, de la bande, de l’engagement, des responsabilités et des techniques scoutes. Alors les jeunes fournissent avec ardeur toutes leurs réserves d’énergie qui se nomment : désir de réussir, désir d’apprendre et de connaître, don de soi, ardeur et honneur… C’est ainsi qu’ils « épuisent » leur jeunesse. Tout cette énergie interne qu’ils possèdent, ils la brûlent dans la joie et c’est ainsi qu’ils deviennent des hommes de caractères, « des hommes qui viennent de leur enfance ».
J’aime beaucoup vos articles, vraiment très instructifs !
Idem pour vos livres… »La petite croix de Laponie » et « Kabuk » m’ont laissé une impression désagréable par rapport aux faits relatés, mais en fait, plusieurs années après les avoir lus, et ayant lu « les chevaliers du Taennchel » il y a seulement quelques semaines (c’est incontestablement mon préféré !), j’ai compris ce que je n’avais pas repéré à l’époque: de ces faits, vous tirez des leçons, la conduite à tenir, les limites, la VRAIE vie d’unité (par rapport à la troupe qui ne marche pas dans ce livre…), surtout inspirée des chefs selon qu’ils s’impliquent dans le jeu ou pas… C’est une guide avec plusieurs années d’expériences, un souvenir exaltant du scoutisme bien que comportant plusieurs fois des ratés (3 ans avec une cheftaine pas très impliquée, un « clan » de familles dominantes et par conséquent favoritisme et très mauvais esprit de compagnie…) et qui doit à présent défendre le scoutisme notamment face à des objections religieuses, qui vous le dit ! Vos articles m’aident radicalement à expliquer et montrer tout ce que le scoutisme m’a apporté en général, particulièrement dans les domaines spirituel, technique, et éducatif ! je vous dit merci pour cela…